Villes et villages, vivons mieux, végétalisons !


Cela n’aura échappé à personne, l’été 2022 que nous avons traversé a battu des records de chaleur. Ces épisodes, de plus en plus précoces et amenés à devenir la norme, questionnent nos capacités d’adaptation, en particulier en milieu urbain où vit, travaille et se déplace la majorité de la population insulaire. Les villes sont en effet touchées par les phénomènes d’ilots de chaleur(1), de jour comme de nuit, préoccupants pour l’environnement et la santé humaine du fait de l’amplification des températures générées(2) . Il apparait donc pertinent de rendre ces espaces plus agréables, plus vivables.
 

Figure 1 : Bande thermique Landsat-5 matérialisant les îlots de chaleur d’un quartier de Montréal en été  (source : université du Quebec)
Figure 1 : Bande thermique Landsat-5 matérialisant les îlots de chaleur d’un quartier de Montréal en été (source : université du Quebec)
Pour ce faire, quelques solutions, le plus souvent fondées sur la nature (SFN), existent et ne relèvent pas de paris technologiques énergivores (simulation et déclenchement d’orages, climatisation extérieure, etc.). Les thermographies aériennes mais aussi l’expérience sensible montrent que les espaces verts, parcs ou forêts sont plus agréables à fréquenter l’été que les lieux qui en sont dépourvus. Pour autant, ils ne suffisent pas à compenser l’effet de chaleur urbain car la fraicheur ponctuelle générée ne se diffuse pas suffisamment. Aussi, il semble primordial de végétaliser au maximum nos villes et villages, de sauvegarder les espaces verts existants pour minimiser voire éviter ces îlots de chaleur urbain (ICU). 

Le pouvoir rafraichissant des plantes découle à la fois de l’ombre portée par la canopée des arbres (plus elle est dense, plus elle intercepte le rayonnement solaire et infrarouge) et de l’évapotranspiration(3) naturelle des végétaux (l’eau absorbe de la chaleur en s’évaporant). Pour la maximiser, il convient de ne pas maintenir les arbres engoncés dans le béton ou le bitume, car plus l’eau pénètre dans le sol, plus l’évapotranspiration est importante et génère donc de fraicheur. Il est recommandé de faire appel à des professionnels pour le choix des essences, en excluant toute espèce exotique envahissante(4) et en privilégiant les plantes méditerranéennes avec un port haut, peu gourmandes en eau et dont le feuillage serait caduc pour optimiser les externalités positives en fonction du cycle des saisons (rayonnement permis en hiver, ombrage offert en été). Comme pour tout aménagement, une concertation préalable avec les habitants est souhaitable.
De même, le cahier des charges mérite d’être construit avec les services techniques amenés à entretenir ces espaces.
 

Ces services rendus par la végétation se révèlent économiquement compétitifs(5) sur le long terme, comme le confirme la récente mission d’information parlementaire sur la nature en ville : « Lorsqu’elles sont correctement conçues et mises en œuvre, les solutions fondées sur la nature sont pérennes, résilientes et présentent (…) un coût global sur leur cycle de vie inférieur à de nombreuses constructions artificielles. Ces bénéfices sont en outre complétés par les avantages connexes, comme l’amélioration du cadre de vie ou la préservation d’habitats pour de nombreuses espèces sauvages.» L’argument économique du tout bitume serait donc à relativiser (un parc coute entre 100 et 300 € du m² à l’investissement, et de 5 à 20 €/m² en exploitation à l’année ; la plantation d’un arbre, environ 1000€). De surcroit, les SFN apparaissent de plus en plus plébiscitées par les populations, pour les aménités et le cadre de vie offerts. Au-delà de la prise en compte des ICU dans les nouveaux aménagements, des actions de désimperméabilisation pourraient être menées au sein des tissus urbains existants qui le mériteraient. À ce titre, viennent d’être débloqués 500 millions d’euros à l’échelle nationale pour cofinancer et accompagner les collectivités locales souhaitant mener des opérations de renaturation. Des appels à projet devraient être prochainement lancés. Renaturer, au-delà des bénéfices directs induits, pourrait permettre de rendre plus accessible les objectifs du Zéro Artificialisation Nette  en octroyant aux collectivités des marges de manœuvre en vue de réaliser des équipements ou des logements.

En parallèle, au-delà des seuls SFN, le recours à des matériaux plus drainants apparait nécessaire pour la réalisation de voiries, d’espaces publics tout comme l’utilisation d’éléments à plus fort albédo (capacité à réfléchir les rayons du soleil dépendant à la fois de la matière et de la couleur ; il convient de rester vigilant au caractère éblouissant de certains matériaux en vue de leur positionnement). Ces recommandations sont également valables pour les toitures et façades des bâtiments. Les solutions techniques et naturelles sont a priori complémentaires même s’il s’avère peu utile de couvrir une surface par un revêtement à albédo élevé alors qu’elle se trouve déjà en plein parc par exemple. Sans que le sujet ne fasse l’objet de développement dans cet article, les SFN permettent également une gestion plus efficace du cycle de l’eau, à moindre frais le plus souvent. 

Outre la nature en ville et la perméabilité des sols, les ICU et leur perception sont également dépendants des formes urbaines produites et de leur capacité à favoriser l'ombrage et la circulation des vents, en privilégiant des alignements de voies nord sud pour n'avoir le soleil qu'au zénith, en limitant les largeurs de voie et la distance entre les bâtiments, à l'instar des formes urbaines traditionnelles du pourtour méditerranéen.

Cette problématique des ICU a vocation à être traitée concrètement dès l'échelle de la planification urbaine dans le cadre de l'élaboration d'un PLU (Plan Local d'Urbanisme) en prévoyant des orientations d'aménagement et de programmation (en savoir plus sur les OAP) thématiques (risques naturels, cadre de vie, santé, renaturation, désimperméabilisation, etc.) ou sectorielles pour les nouveaux quartiers. Le but est de leur garantir une forme urbaine bioclimatique et une trame d'espaces verts ; en s'appuyant sur la trame verte et bleue pour l'enrichir avec des fonctions de rafraichissements compatibles avec la préservation de la biodiversité ; en construisant une charte de l'arbre annexé au PLU en vue de leur protection voire classer des espaces boisés (y compris des linéaires voire des arbres isolés) ; en imposant des coefficients de biotope par surface aménageable, etc.
Figure 2 : Exemple d'OAP (Commune de La Garde) réalisée par l'agence d'urbanisme de l'aire Toulonnaise et du Var
Figure 2 : Exemple d'OAP (Commune de La Garde) réalisée par l'agence d'urbanisme de l'aire Toulonnaise et du Var

Elle pourrait aussi être traitée de manière encore plus concrète et efficiente, dans le cadre de l’implication directe des collectivités publiques dans la conception et la conduite d’opérations d’aménagement.
Plus ponctuellement, des communes innovent grâce à la récente loi dite « Climat et Résilience » qui permet de délivrer, à titre gratuit à des personnes morales de droit public ou des personnes privées, des autorisations d’occupation temporaire (AOT) du domaine public communal lorsque le projet participe au développement de la nature en ville. Certaines collectivités vont jusqu’à proposer la cession gracieuse d’arbres à des personnes disposant de foncier libre en milieu urbain dans l’optique de lutter contre les îlots de chaleur.
Enfin, en cas d’incapacité technique en milieu urbain dense ou d’allergie au végétal, le recours à des structures d’ombrage fixes, temporaires ou pérennes (toile, voile d’ombrage, pergolas, etc.) peuvent être également déployées pour protéger du rayonnement solaire direct. Il conviendra néanmoins de veiller à ne pas réduire les vitesses du vent qui pourrait accroitre l’inconfort en été.
Ce rapide panorama doit permettre d’éveiller les consciences afin d’envisager plus sereinement les futures périodes estivales, des solutions vertueuses existent, saisissons en nous !



(1) Un ilot de chaleur urbain (ICU) est une zone urbaine caractérisée par une température significativement plus élevée que celles des zones environnantes. Ils sont renforcés par : la concentration de population et l’intensification des activités, les aménagements urbains non adaptés, les propriétés des matériaux à forte inertie thermique ou l’usage vicieux des technologies de rafraichissement (les rejets anthropogéniques des climatiseurs par exemple augmentent et aggravent les effets climatiques locaux, au-delà de leur caractère énergivore). 
(2) Lors de la canicule de 2003, la surmortalité a été de 141% à Paris, alors qu’en zones rurales, elle était de 40%. (Cadot, 2006)
(3) L’évapotranspiration peut aller jusqu’à 1000 L d’eau par jour pour un chêne selon l’ONF.
(4) Liste des espèces exotiques envahissantes consultable sur le site du conservatoire botanique national de Corse disponible ici.
(5) ​Un rapport de l’Office of National Statistics britannique estime que la canopée londonienne aurait permis d’économiser, de 2014 à 2018, quelque 11 milliards de dollars en climatisation.